Je voudrais encore insister sur la notion de confiance en soi et de confiance en ses valeurs par un autre exemple. Ma filleule (aujourd’hui 10 ans) a physique un look plutôt « fille », mais des goûts et centres d’intérêts très différents des autres filles (sciences, art, musique classique, etc). Pendant plusieurs années, elle a eu du mal à s’intégrer dans son école. Elle était très timide, seule dans son coin, sans aucun-e ami-e. Sa mère et moi en avons beaucoup parlé. Au fil des discussions, j’ai compris que sa mère (et son père) ont systématiquement cherché à l’intégrer en la rendant conforme aux autres petites filles (ce qui est en soi légitime, mais manifestement inefficace). Elle l’incitait à avoir des conversations « de fille », au lieu de parler par exemple de sa collection de minéraux aux rares filles qui tentaient de lui adresser la parole. Sa mère l’encourageait à participer à un groupe improvisé de danse sur une musique à la mode avec d’autres filles, alors qu’elle détestait ce morceau, etc. A ses goûters d’anniversaire, elle invitait quelques filles de sa classe et l’un ou l’autre rares garçons. Tout était bien organisé par ses parents : gobelets roses pour les filles et bleus pour les garçons, activités façon princesse-plan-plan, jeux de filles avec un peu de place pour les rares garçons. Les parents organisaient l’après-midi consciencieusement. Les enfants s’amusaient poliment. Ma filleule s’ennuyait terriblement. Et aucune de ces amies ne l’invitait par la suite à leurs anniversaires. Du coup, elle n’a plus fêté son 9ème anniversaire en invitant d’autres enfants. Sa mère était désespérée.
Sa mère me demandait alors conseil sur comment permettre à sa fille de devenir plus sociable, moins timide et avoir des amies. Mais moi, plus je voyais ma filleule, plus il me semblait évident qu’elle souffrait surtout d’un terrible manque d’estime d’elle-même. J’ai donc suggéré à sa mère de rétablir cette confiance en elle en l’encourageant dans ce qu’elle entreprenait (même si ce n’était pas des trucs de fille), en la félicitant franchement chaque fois qu’elle faisait quelque chose de bien, en ayant vraiment une démarche positive vis-à-vis d’elle.
Une fois suivante, elle m’explique que ma filleule, qui s’est entretemps passionnée pour l’astronomie et fréquente assidûment un club d’astronomie près de chez elle, a demandé à son père de lui offrir un poster d’Einstein. La fameuse photo où il tire la langue. Ses parents lui ont dit « d’accord, mais à condition que tu enlèves ce poster de ta chambre quand tu invites une amie, pour que tu ne passes pas pour une fille un peu spéciale auprès d’elle au risque de la faire fuir ». Et moi de réagir vigoureusement : mais pourquoi l’enlever ? Au contraire, elle doit être fière de ses connaissances en astronomie, elle doit être fière de connaître Einstein. Si une amie lui pose des questions sur ce poster, qu’elle explique qui est Einstein. Il n’y a aucune honte à avoir. Il n’y a aucune raison de s’en cacher. Qu’elle assume pleinement ses goûts et ses différences.
Arrive son 10ème anniversaire. La famille a une idée : inviter ses copains et copines de classe non pas pour un anniversaire princesse-plan-plan habituel, mais pour une initiation à l’astronomie. Le président du club d’astronomie en personne est de la partie et organise les activités pour les enfants. Tout tourne autour du thème : la déco sur l’Univers, le gâteau en forme de planète, des panneaux sur le système solaire, des posters, des petits films, la totale. Et, surprise, les enfants ont adorés. Tous les enfants. Les garçons comme les filles se sont impliqués dans les activités, ont posés plein de questions, ont passionnément regardé des vidéos sur ce thème, se sont totalement pris au jeu. Ils sont repartis ravis, avec des commentaires élogieux sur le mode « c’est le plus chouette anniversaire auquel j’ai participé ». Les jours suivants, les enfants en ont reparlé à l’école. Ma filleule est devenue la star du moment. Ses parents sont enchantés.
C’était encore un exemple pour démontrer que ça ne sert à rien de forcer ses enfants à entrer dans moule en espérant les intégrer. Mieux vaut les encourager dans leurs goûts et leur inculquer une grande estime d’eux-mêmes. Une fille n’aime pas les jeux de princesse. Pas grave, elle pourra toujours devenir astronaute à la NASA. Un garçon aime le vernis à ongle et les chaussures à paillette. Pas grave, il pourra toujours devenir un grand créateur de mode dans une maison de couture prestigieuse. Ils risquent de s’en prendre plein la figure dans la cour de récréation. Peut-être. Mais avec suffisamment de confiance en eux, ils auront ensuite une vie bien plus riche que les bons petits soldats garants du respect des normes de genre.